Pour André Ramseyer, la sculpture a véritablement été une vocation : « Je ne pouvais pas faire autre chose. J’ai obéi à un certain ordre intérieur. » Appel auquel il tente de répondre, non sans une part de douleur : « On vise un but qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche. L’artiste est toujours en deçà de ce qu’il aimerait atteindre. C’est une souffrance et, en même temps, une stimulation. » dit-il à l’âge de 90 ans à Dominique Bosshard (dans l’Express de Neuchâtel, le 31 janvier 2004).
Après avoir été l’élève de Léon Perrin (1886-1978) à La Chaux-de-Fonds et avoir suivi les cours des Académies libres de Montmartre et de Montparnasse à Paris, André Ramseyer traite le corps humain dans un style qui témoigne de son admiration pour des maîtres tels que Rodin (1840-1917) et Maillol (1861-1944). La dernière œuvre figurative du sculpteur est la Baigneuse qui domine le bassin placé au centre du jardin à la française situé devant l’hôtel DuPeyrou à Neuchâtel. C'est une étape importante dans sa carrière : d’abord parce qu’il s’agit de sa première grande commande officielle, ensuite parce que l’œuvre déclenche une polémique. André Ramseyer doit la défendre face à un groupe d’opposants attachés à l’art traditionnel. Il faudra cinq années d’atermoiements pour que l’œuvre soit inaugurée alors que le premier projet du sculpteur datait de 1948.
Après son passage dans l’atelier d’Ossip Zadkine (1890-1967), André Ramseyer se dirige progressivement vers l’abstraction. Les personnages des couples qu’il sculpte prennent des formes simplifiées, épurées, des vides se creusent entre les corps. Il s’explique ainsi sur son évolution :
« C’est en 1948, après la Baigneuse de l’Hôtel DuPeyrou, que j’ai pris mes distances à l’égard de l’art figuratif. Parti pour un séjour d’un an à Paris, j’ai travaillé avec le sculpteur Ossip Zadkine. Sous son influence, je suis lentement passé à une forme de liberté à laquelle j’aspirais. Ossip Zadkine reste un sculpteur figuratif, mais il se permet des audaces avec le corps humain, audaces que j’ai faites miennes, comme pour Consolation, sculpture qui se trouve aujourd’hui sur la place Centrale à Bienne ; c’est encore le corps de l’homme et de la femme, mais traité avec une très grande liberté. »1
Quand André Ramseyer se lance dans l’abstraction, cette forme d’art est jugée très sévèrement par le grand public et même par nombre d’artistes, comme Charles L’Eplattenier (1874-1946), Léon Perrin (1886-1978), Paulo Röthlisberger (1892-1990). André Ramseyer raconte que ce dernier, lors d’un séjour à Paris, avait été tenté par la non-figuration, mais qu’il y avait renoncé. « Devant une sculpture de Marino Marini, il m’avait même dit : "Ce n’est pas pour nous" ». Quant à Léon Perrin, il juge désormais les travaux de son ancien élève comme « de l’enfantillage, presque la perdition ! »2
Les amis peintres d’André Ramseyer, tels Georges Froidevaux et Claude Loewer, qui avaient en même temps que lui passé à la non-figuration, se sont heurtés à la même incompréhension : le public neuchâtelois suivait mal… Dès les années 1950, la région neuchâteloise et jurassienne va pourtant connaître une entrée spectaculaire dans la modernité de l’art ; le sculpteur André Ramseyer est l’un des premiers à oser lâcher le figuratif, donnant à ses recherches sur le cercle une dimension qui lui est personnelle, même si son œuvre fait écho à celle d’un Jean Arp ou d’un Henry Moore (qu’il découvre en 1950 au Kunstmuseum de Berne).
Ces recherches formelles deviennent de plus en plus novatrices, au risque de heurter davantage la sensibilité d’un public neuchâtelois encore peu ouvert à l’art abstrait : ainsi le Courrier de Genève écrit en 1960 après l’inauguration d’une sculpture dressée sur la façade de l’immeuble des assurances Winterthur à Neuchâtel :
« Signalons pour ceux que cela intéresserait – et ils sont, croyons-nous, nombreux – que le motif de bronze qui orne la façade de l’immeuble et qui est dû au sculpteur Ramseyer s’intitule Envol, ce que l’on est bien aise de savoir. »3 Or, le sculpteur avait à cœur, une fois de plus, d’intégrer l’œuvre à son architecture. André Ramseyer s’en explique ainsi dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel :
« Il s’agissait pour ce bâtiment résolument moderne de choisir un motif simple, adapté au plein air, visible de loin et que les automobilistes, même passant rapidement, puissent voir eux aussi. J’ai choisi un jeu de courbes mettant par contraste en valeur les verticales et les horizontales de l’immeuble. Il fallait créer un rythme ascendant, obéissant au grand mouvement de bas en haut que créent la façade et le long rectangle de mur à décorer. Je me permets d’insister sur le fait que cette œuvre - que j’ai intitulée Envol – ne représente rien. Il s’agit d’un élément plastique dans lequel il ne faut voir qu’un jeu de formes et de rythmes. Une architecture d’aujourd’hui réclame une sculpture d’aujourd’hui. »4
A l’époque, il était nécessaire de le dire…
André Ramseyer a créé nombre d’œuvres monumentales, dans un jeu dynamique avec l’architecture. Il a toujours eu le souci de s’intégrer à l’esprit des lieux, de jouer avec l’espace, la lumière et la matière de ces lieux. Pour Olivier Bauermeister, « les sculptures de Ramseyer (…) engendrent au fur et à mesure l’espace dont elles ont besoin, dans un mouvement ininterrompu de commencements et de fins. »5
André Ramseyer a su trouver une voie originale, en multipliant les variations autour de la forme circulaire. Pour lui, « la sphère est la plus belle des lignes… ». Il donne aussi une place centrale à la « magie du vide » qui habite la forme, qui la traverse. Les extrêmes opposés du matériel et de l’immatériel se rejoignent ainsi. L’artiste aimait à dire que ses œuvres se déployaient dans l’espace autant que celui-ci les pénétrait. Il souhaitait qu’elles « brillent par le dedans ». Marcel Joray écrit dans sa monographie sur l’artiste publiée en 1979 : « Les formes nées du cercle, symbole du ciel, à sections nées du carré, symbole de la terre, se multiplient. Le cercle deviendra la forme centrale de toute la sculpture de Ramseyer, dont l’espoir est d’atteindre au signe, matière spiritualisée. » Le sculpteur le répète encore (dans l’Express du 31 janvier 2004) : « Dans une œuvre, il y a la matière, l’espace, la lumière, tout le métier que l’on peut y mettre. Mais il faut que s’y ajoute une dimension supplémentaire, essentielle, que je qualifierais de spirituelle. L’œuvre d’art émet ses propres vibrations. »
Les série des Cantates ou Portes du Jour (1988-1990) occupe une place à part dans l’œuvre. Passant et repassant devant les dalles de granit entreposées aux abords de son atelier par son voisin marbrier, André Ramseyer se sent un jour appelé à faire découper, dans ces dalles, des formes architecturales et à y ajouter de subtiles gravures, comme un hommage à la matière. Une démarche qui en a déconcerté plus d’un et troublé l’artiste lui-même.
André Ramseyer s’est à plusieurs reprises exprimé sur son œuvre, dans des interviews comme dans des conférences. Il a par ailleurs rédigé les textes du second volume de la monographie publiée aux éditions du Griffon en 1994.
1L’art neuchâtelois, deux siècles de création, Hauterive, éditions Gilles Attinger, 1992, p. 278
2Ibid., p. 278
3Texte extrait de La sculpture publique en pays de Neuchâtel, Cahiers de l’Institut neuchâtelois, Hauterive, Editions Gilles Attinger, 2004, p. 160
4Ibid., p. 159
5L’art monumental dans les bâtiments publics, Nouvelle Revue neuchâteloise, no 28, hiver 1990, p. 14